La censure la plus à craindre ne provient pas du "wokisme"
Résumé
Citations
« Les cyberviolences sont fréquemment utilisées pour cibler les groupes minorés et discriminés et discréditer leurs représentant·e·s afin de les pousser à cesser de s’exprimer. Internet et les technologies du numérique ne sont pas neutres. Les plateformes numériques et les réseaux sociaux sont conçus et développés par des individus appartenant à une catégorie sociale privilégiée. Il s’agit souvent d’hommes blancs, valides, cisgenres et très diplômés. Ces derniers ne sont pas ou peu confrontés aux discriminations liées au racisme, au sexisme, au handicap, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle notamment. Or, les espaces numériques où les cyberviolences s‘exercent sont des espaces politiques construits à leur image, au sein desquels la liberté d’expression, lorsqu’elle existe, demeure surtout celle des groupes sociaux dominants. Avec l’avènement des forums, des blogs, puis des réseaux sociaux, et l’investissement du numérique par les militant·e·s d’extrême droite, le cyberharcèlement s’est malheureusement imposé comme mode d’action politique. Le recours à la violence s’est normalisé et le fait de prendre à partie, voire de cyberharceler, une personne considérée comme un·e ennemi·e politique, est souvent considéré comme légitime. Le mode opératoire varie peu : une personne médiatique ou reconnue comme leader d’opinion lance une campagne de cyberharcèlement en mentionnant une personne ou une organisation cible, ce qui conduit invariablement ses nombreux et nombreuses abonné·e·s à la prendre à leur tour à partie. Sur les forums, les groupes Facebook et les fils de discussion privés, des individus peuvent aussi se concerter et coordonner leurs actions de cyberharcèlement, se livrant alors à de véritables raids numériques. »
« Le cinéma municipal du Luc-en-Provence, une mairie varoise gérée par le Front national, avait prévu de diffuser le film "Chez nous" de Lucas Belvaux, qui décrit l'ascension de l'extrême droite dans le Nord… Avant de le retirer des écrans, a indiqué aujourd'hui le maire Pascal Verrelle. La ministre de la Culture Audrey Azoulay a dénoncé une "censure". »
« Rappelons que si on adore parler de cancel culture quand il s’agit de la gauche, les conservateurs ne retiennent pas leurs coups quand il s’agit d’exprimer leur offense. Un humoriste a été renvoy de Canal+, ainsi que l’un de ses soutiens, pour avoir parodié la ligne éditoriale penchant droite dure de la chaîne CNews, du même propriétaire. La maison d’édition associative Monstrograph a fait les frais d’une irritation en haut lieu : en août 2020, ses fondateurs Martin Page et Coline Pierré reçoivent un mail d’un chargé de mission au secrétariat d’Etat à l’égalité femmes-hommes qui les somme, sous peine de poursuites pénales, de retirer du marché le livre Moi les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange. La Ligue des droits de l’homme et Mediapart s’en mêlent, et le livre profitera largement de cette tentative ratée de censure : l’autrice est aujourd’hui publiée aux éditions du Seuil et traduite en 17 langues. »
« Aux Etats-Unis, l’extrême droite sait très bien utiliser les réseaux sociaux pour influencer l’opinion sur des sujets de société et obtenir des résultats concrets, par exemple l’interdiction de livres jugés trop progressistes dans des bibliothèques. »
Références
- Kutztown 8th-grader creates Teen Banned Book Club, Lisa Mitchell, Reading Eagle, 10 janvier 2022.
- YouTube blackliste des femmes pour cajoler les annonceurs #encoremercilalgorithme, Pauline Bock, Télérama, 29/05/18.
- "En s’en prenant à ces livres, ils s’en prennent à leurs lecteurs" : l'inquiétante censure aux États-Unis, Axel Monnier, Julie Asher, LCI, 29/01/2023.
- Une cancel culture à la sauce conservatrice : aux Etats-Unis des livres renvoyés de l’école, Raphaëlle Besse Desmoulières, Le Monde, 20 mars 2022.
- Un lycée privé de Compiègne accusé de censure homophobe, Stop Homophobie, 2/04/2023.