Wikidébats:Sortir de la confusion

De Wikidébats, l'encyclopédie des débats et des arguments « pour » et « contre »
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Écrit par Emmanuel-Juste Duits, ce texte décrit la démarche et l’attitude qui fondent cet espace de confrontation méthodique des visions du monde qu’est Wikidébats.

Il y a une énigme, étrange et effrayante si on y réfléchit. Quoique je pense, il y a des milliers voire des millions de personnes qui pensent autrement que moi, voire qui s’opposent activement à mes idées, militent contre elles.

Si je suis chrétien, je sais qu’il existe des milliards d’athées, et si je suis athée, qu’il existe des milliards de croyants qui considèrent l’athéisme comme une erreur ou un non-sens. Et qu’il existe aussi des « athées spiritualistes » comme les bouddhistes, qui ne croient pas en Dieu mais en des forces spirituelles. Et ainsi pour chaque sujet, pour chacune de mes options. Si j’adhère à la psychanalyse freudienne, c’est pareil, il existe les jungiens, les adlériens, les comportementalistes, les cognitivistes, etc. etc., des centaines d’écoles psy qui contredisent le freudisme.

En réalité, l’existence de ces millions de personnes est un défi, cela met mal à l’aise, cela remet en question mes idées les plus fondamentales.

Car qu’est-ce qui me dit que j’ai raison et que tous ces gens ont tort ?

Cette question est d’autant plus lancinante qu’on n’est plus dans la société homogène de jadis, où les mêmes croyances dominaient. On pouvait ignorer la multitude des cultures et des visions du monde. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Avec les médias, au coin des rues bigarrées, on se cogne tous les jours aux différences de croyances et de modes de vie. On est face au spectacle du pullulement des milieux séparés les uns des autres, je ne vais pas les énumérer tous, mais citons les conspirationnistes, les végans, les ufologues, les LGBT+, les chasseurs, les néochamanes New Age, les mélomanes classiques, les rappeurs, les hommes d’affaires libéraux, les chercheurs marxistes, et ainsi à l’infini ou presque.

Tous ces gens véhiculent des visions du monde qui se croisent très rarement et, le plus souvent, s’ignorent. La société est composée d’une infinité d’alvéoles étanches, il n’y a plus de monde commun. C’est le vertige, la divergence absolue ; l’humanité éclate en mille morceaux qui se dispersent et s’éloignent ou s’attaquent, quand ils se rencontrent... C’est la Grande Confusion !

On a donc créé des stratégies pour neutraliser cette complexité et faire taire le rappel incessant de la relativité de nos croyances chéries. On veut tout faire pour oublier cet océan inquiétant de réalités contradictoires.

Pour réduire le paquet d’ondes, comme disent les physiciens, réduire le foisonnement inouï des croyances et des visions du monde, on suppose que nos opposés sont des crédules, des « cons » ou des « salauds ». On ne dit pas ça, mais on agit comme si c’était le cas. D’ailleurs on le dit parfois, quand on traite nos adversaires de « fachos », ou d’« islamo-gauchistes », bref quand on les dévalorise moralement.

L’esprit critique, ça consiste à se demander : pour quelles raisons tant de gens ont-ils des opinions différentes des miennes ?

Quels chemins ont-ils empruntés que je ne connais pas ?

S’étonner et non condamner, être curieux et non éviter.

On part d’une position éthique fondamentale : à savoir, que nos opposants ne sont pas plus bêtes, immoraux ou moins informés que soi. Donc ça éveille la curiosité.

Car voilà le secret : les différentes visions du monde cessent de me choquer, elles m’interpellent et m’intéressent. Ce sont des énigmes excitantes, non un danger.

Alors, que faut-il faire ? Il faut aller les écouter au lieu de les faire taire ou de les ignorer. C’est un renversement complet d’attitude. Passer du confort intellectuel, du biais de confirmation, à la confrontation avec l’autre. Passer de l’entre-soi où l’on consulte les mêmes sites, les mêmes médias, à une curiosité pour ce que disent nos adversaires dans leurs propres médias. C’est sortir de nos circuits habituels d’informations, d’expériences, qui valident nos idées préférées.

C’est une véritable ascèse intérieure, un renversement existentiel.

Mon livre Doper son esprit critique tente de décrire cette démarche, de proposer des pistes pour la vivre concrètement. C’est une démarche qui peut se vivre au niveau des individus, mais aussi des collectifs, en créant des espaces de décloisonnement, en créant des débats méthodiques où sont invités des points de vue très divergents, comme le site Wikidébats. À terme, mon utopie, ce serait de recréer des débats socratiques mais à l’échelle d’un monde ouvert, où il y a nécessairement beaucoup plus d’options et de connaissances scientifiques à convoquer qu’au temps de Socrate à Athènes.

Dans cette démarche, il y a trois phases essentielles, comme en alchimie.

L’œuvre au noir, dissolvante, où l’on réalise cette complexité, on perd ses repères, on vit cette confusion. On subit le choc informationnel, le tsunami des modes de vie et des choix existentiels. On s’aperçoit que tout existe.

L’œuvre au rouge, où l’on découvre que de nombreux points de vue sont bien argumentés, on se dit « à chacun sa vérité ». C’est une phase dangereuse car séduisante. On se croit tolérant alors que l’on relativise tout et qu’on risque de se démobiliser, de ne plus croire en rien.

Enfin, une œuvre au blanc, où l’on découvre des façons de hiérarchiser et tamiser l’information, et d’atteindre une vision globale sur certains sujets. On sort du relativisme, on trouve des manières de simplifier les données, sans caricaturer, mais en intégrant et dépassant la complexité. En modélisant les réponses possibles à nos grandes interrogations, puis en organisant des débats ouverts et méthodiques, je soutiens qu’on peut renouer avec l’idéal philosophique, dépasser la fragmentation des points de vue parcellaires et contradictoires pour atteindre enfin des fragments de vérités.

Plus que jamais, œuvrons à la création d’espaces inédits, où se réuniraient des électrons libres, des personnes en quête de vérité, et où se construirait en commun des visions d’ensemble ; là où la science se dissout, là où les écoles de pensées divergent et s’enferment entre croyants, réunir des a-dogmatiques qui tendent à dépasser le perspectivisme et recréer l’unité. Ambition vaste et enthousiasmante !

Voilà en gros le chemin que je propose et que j’aimerais discuter avec vous.

Emmanuel-Juste Duits, auteur de Doper son esprit critique, Chronique sociale, 2023, et, pour une approche plus philosophique, d’Après le relativisme, Le Cerf, 2016.

Textes d'Emmanuel-Juste Duits[modifier le wikicode]

  • Sortir de la confusion : écrit en 2023, ce texte décrit la démarche et l’attitude qui fondent cet espace de confrontation méthodique des visions du monde qu’est Wikidébats.
  • Qu'est-ce que le débat méthodique ? : paru sur le blog « Tolérance active », ce texte décrit les motivations du débat méthodique et d'un site comme Wikidébats, face à la partialité des sources d'information et l'absence de confrontation des points de vue.
  • Appel au libre-examen et à la tradition de l’agora : paru sur le blog « Tolérance active », ce texte est un appel à renouer avec la tradition grecque qui remonte à Socrate et qui consistait à discuter rationnellement des croyances, sans censure ni réserve.
  • Dépasser la complexité : paru sur le blog « Tolérance active », ce texte présente l'intérêt d'une méthode faisant le tour des principales questions de société, afin de ne pas laisser les individus désemparés face à la pluralité et la technicité de ces questions.
  • L'agora du 21e siècle : paru à la fin des années 1990, comme un chapitre du livre L'homme réseau - Penser et agir dans la complexité, ce texte décrit de façon visionnaire les grandes lignes d'un site comme Wikidébats, ses motivations et ses enjeux, dans une société où n'existe encore aucun outil permettant de synthétiser, confronter et mettre à l'épreuve les grandes options politiques, philosophiques, religieuses et sociales.
  • Pourquoi faut-il débattre ? : écrit au lancement du site Hyperdébat dans les années 2000, ce texte continue, vingt ans plus tard, à poser les jalons d'un site de débat méthodique tel que Wikidébats.

Trois livres pour approfondir cette réflexion :

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