Parce que l'univers est contingent, il a une cause
Résumé
Citations
« Selon la thèse absurdiste, le monde, bien que contingent, n’a pas d’explication. La proposition centrale est donc qu’un être contingent peut n’avoir pas d’explication. Nous pensons que cette proposition est fausse. Il est possible de le montrer, en partant d’un principe plus faible que le principe de raison, acceptable y compris par les tenants de la thèse absurdiste. C’est à Richard Gale et Alexander Pruss que nous devons cette idée : ce principe consiste à admettre que « tout être contingent peut avoir une cause » (et non que « tout être contingent a une cause »). Chacun reconnaîtra qu’il est difficile de s’opposer à un principe aussi exigeant. Il va pourtant nous conduire assez loin. Prenons le cas de l’univers considéré dans sa matière primordiale. Même si l’on affirme que cet univers n’a, de fait, pas d’explication, on est obligé d’admettre qu’il pourrait en avoir une (que les êtres métaphysiquement contingents aient une explication est en effet le cas général et l’on ne voit pas ce qui pourrait empêcher que l’existence d’une quantité déterminée d’énergie ait une cause). On admet donc qu’il est logiquement possible que cet être ait une cause explicative. Or, nous savons que tout effet rend sa cause nécessaire (à partir du moment où un événement singulier a une cause, il faut reconnaître qu’il aurait été impossible sans celle-ci). On est donc amené à dire qu’il est possible que l’univers n’ait pas pu exister sans sa cause. Or les règles standard de la logique modale (système S5) posent que si un fait nécessaire est possible, il est réel. Donc, s’il est possible qu’un fait contingent ait une cause explicative, il est possible qu’il ait nécessairement besoin de cette cause, et donc il a une cause. »
« Pour réfuter le principe de raison d’être, il ne suffit pas de trouver un être dont nous ignorions invinciblement la raison d’être, mais il faut encore prouver que cet être n’a pas réellement de raison d’être. La seule façon d’y parvenir logiquement est de démontrer qu’il ne peut pas avoir de raison d’être. Sans cela, on serait incapable de distinguer entre l’absence réelle de raison d’être et la simple ignorance de la raison. Mais réussir cette prouesse, ce serait précisément démontrer qu’il y a une raison pour laquelle cet être n’a pas de raison. Ce qui est, au pire, contradictoire et qui, au mieux, revient à prouver qu’il existe un être ayant sa raison d’être en lui-même ! On peut résumer cela ainsi : Soit p un fait contingent. On peut définir un fait contingent composé p* décrivant la conjugaison de deux faits : p existe et p n’a pas d’explication. p* étant un fait, il est possible qu’il ait une explication. Il faudra donc reconnaître qu’il est possible qu’il y ait une explication commune du fait que p existe et du fait que l’existence de p n’a pas d’explication. Ce qui est absurde car contradictoire. Il faut donc renoncer à l’idée que p puisse ne pas avoir d’explication, et maintenir que tout fait contingent doit avoir une explication. La proposition centrale de la thèse absurdiste est donc fausse. »
« Il existe encore une autre façon d’argumenter ce point. Admettons qu’il existe au moins un être – la cause première – dont l’existence soit sans explication. À l’appui de cette conclusion, on peut soutenir que le principe « tout ce qui existe a une explication » n’est qu’un principe empirique, tiré par induction de la considération des êtres contingents qui ont commencé d’exister. La première cause que nous cherchons devrait donc avoir le statut d’un fait brut ultime sans explication (et non celui d’un être nécessaire auto-expliqué). En outre, et en dépit de ce que nous avons dit plus haut, on pourrait continuer de penser que l’idée d’« auto-explication » n’est pas claire. Il serait donc prudent de l’écarter. Doit-on en déduire que l’argument théiste échoue et que l’univers pourrait fort bien tenir lieu de cause première ? Non, car l’univers n’est pas un bon candidat au statut de fait brut ultime. Voyons pourquoi. Si nous récusons le principe d’après lequel « tout ce qui existe a une explication », le principe de remplacement immédiatement inférieur n’est pas que « tout être qui n’a pas besoin d’explication n’a pas d’explication ». Ou encore : « Tout être dont il est impossible qu’il ait une explication extérieure n’a pas d’explication de son existence ». Il est en effet assez clair que seul peut n’avoir pas besoin d’explication un être dont il est impossible de penser qu’il puisse en avoir besoin. Si l’on peut penser qu’un être a besoin d’une explication, c’est très probablement qu’il en a une. C’est, au minimum, un principe inductif bien fondé. Quel est le critère à appliquer pour le savoir ? Nous dirons qu’un être a besoin d’une explication lorsqu’il présente des caractéristiques arbitraires dont toute intelligence rationnelle cherche spontanément à rendre compte. Or de toute évidence, l’univers considéré dans sa matière primordiale présente ce genre de caractéristiques. Il n’est donc pas plausible qu’il soit l’être qui n’a pas besoin d’explication (et qui donc, de fait, n’en a pas). Même si l’on récuse le principe de raison dans sa version forte (qui veut que tout ait une explication), il faut affirmer que l’univers a très probablement une cause extérieure, puisqu’il présente des caractéristiques qui ont besoin d’une explication. Cette cause doit bien évidemment n’être pas dotée des caractéristiques qui nous porteraient, si nous pouvions la contempler, à en rechercher une explication. »