Il n'y a pas de raison que ce soit Dieu la cause première
Résumé
Citations
« Au demeurant, quand bien même on donnerait raison à Leibniz et au principe de raison, cela prouverait seulement l’existence d’un être nécessaire. Mais qu’est-ce qui nous prouve que cet être soit Dieu, je veux dire un Esprit, un Sujet, une Personne (ou trois) ? Ce pourrait être aussi bien l’apeiron (l’infini, l’indéterminé) d’Anaximandre, le feu toujours changeant d’Héraclite (le devenir), l’Être impersonnel de Parménide, le Tao – tout aussi impersonnel – de Lao-tseu… Ce pourrait être la Substance de Spinoza, laquelle est absolument nécessaire, cause de soi et de tout, éternelle et infinie, mais immanente (ses effets sont en elle) et dépourvue, je le rappelais à propos de la preuve ontologique, de tout trait anthropomorphique : elle est sans conscience, sans volonté, sans amour. Spinoza l’appelle «Dieu», certes, mais ce n’est pas un Bon Dieu : ce n’est que la Nature (c’est ce qu’on appelle le panthéisme spinoziste : « Deus sive Natura, Dieu c’est-à-dire la Nature »), laquelle n’est pas un sujet et ne poursuit aucun but. À quoi bon la prier, puisqu’elle ne nous écoute pas ? Comment lui obéir, puisqu’elle ne nous demande rien ? Pourquoi lui faire confiance, puisqu’elle ne s’occupe pas de nous ? Et que reste-t-il alors de la foi ? Leibniz ne s’y est pas trompé. Ce panthéisme-là est plus près de l’athéisme que de la religion. »
« Pour revenir à la régression infinie et à la futilité d’invoquer Dieu pour y mettre fin, il est plus économique de faire apparaître, mettons, une « singularité Big Bang », ou quelque autre concept physique encore inconnu. Cela n’apporte rien, au mieux, de l’appeler Dieu, et au pire, c’est trompeur et pernicieux. La « Recette sans queue ni tête des côtelettes crumboblieuses » d’Edward Lear nous invite à nous « procurer des émincés de bœuf, et après les avoir coupés en morceaux le plus petits possible, continuer à les couper en morceaux de huit à neuf fois plus petits ». Certaines régressions aboutissent en fait à une fin naturelle. Les scientifiques se demandaient jadis ce qui se passerait si l’on disséquait, mettons, de l’or en fragments le plus petits possible. Pourquoi ne pourrait-on pas en coupant un de ces fragments en deux obtenir un grain d’or encore plus petit ? Dans ce cas-là, la régression s’achève définitivement à l’atome. Le morceau d’or minimal est un noyau constitué d’exactement soixante-neuf protons et un peu plus de neutrons, entourés, de soixante-dix-neuf électrons. Si vous « découpez » l’or au-delà du noyau de l’atome unique, vous aurez tout autre chose que de l’or. L’atome est ce terminateur naturel à la régression de type côtelettes crumboblieuses. Mais rien n’indique le moins du monde que Dieu joue ce rôle de terminateur naturel à la régression de Thomas d’Aquin. »