Le sens du mot « dictature » a changé
Résumé
Citations
« Quand Marx emploie pour la première fois la formule en 1850 dans les Luttes de classe en France où il tire leçon de l'écrasement des révolutions de 1848-1849 par les forces féodales et bourgeoises quel sens a-t-elle ? C'est l'ensemble des moyens politiques transitoires que le prolétariat doit mettre en oeuvre pour l'emporter dans la crise révolutionnaire, et ainsi la résoudre comme la définit justement le Dictionnaire critique du marxisme. L'emploi du mot dictature dit une violence, c'est incontestable, mais violence politique qui n'est pas de soi violence physique, violence sanglante. Comme l'écrivait sans détour Marx dans le Manifeste du parti communiste, le passage à une société sans classe ne pourra se faire "que par une intervention despotique dans le droit de propriété et les rapports bourgeois de production", laquelle présuppose la conquête du pouvoir d'Etat. Elle peut donc impliquer recours insurrectionnel à la violence armée, et c'est même le plus probable, compte tenu du fait brutalement illustré en 1848-1849 que les classes possédantes ne se laissent pas déposséder sans la plus féroce résistance. Mais le mot dictature n'est en lui-même aucunement synonyme de cette violence armée. Marx lui-même dira en 1872 qu'il est des pays et des situations où est possible un passage pacifique au socialisme. »
« Et le mot dictature, en 1850, même en 1917, n'est pas du tout chargé encore des connotations terroristes, sanguinaires, atroces que vont lui conférer les exactions de la guerre civile en 1918-1922, bien plus encore par la suite la grande terreur stalinienne, les crimes sans nom de l'hitlérisme et des fascismes, les déchaînements répressifs d'un Suharto en Indonésie (1965) ou d'un Pinochet au Chili (1973). Aujourd'hui le mot dictature est à lui seul terriblement accusateur. Mais lui donner rétroactivement cette coloration chez Lénine relève d'un anachronisme [que tout historien] devrait avoir pour déontologie de dissiper, non d'utiliser subrepticement au service de son idéologie. »