Lénine récuse même l'intérêt du régicide
Résumé
Citations
« L'expérience de toutes les révolutions qui ont éclaté jusqu'ici en Europe confirme que la révolution subira une défaite, si la paysannerie ne triomphe pas de l'emprise des koulaks. Toutes les révolutions européennes n'ont abouti à rien, précisément parce que la campagne n'a pas su venir à bout de ses ennemis. Les ouvriers des villes ont renversé les monarques (en Angleterre et en France on a exécuté les rois il y a déjà quelques centaines d'années et nous étions seuls en retard avec notre tsar) et pourtant après un certain temps, l'Ancien Régime était restauré. »
« Alors que la mort de Charles Ier ou de Louis XVI ont été de grands évènements historiques, celle de Nicolas II constitue même l'exemple d'un fait divers, d'un non-évènement […] La façon dont Lénine l'évoque est significative : dans une parenthèse… Et pour rappeler que la Russie a du retard par rapport à l'Occident qui, en Angleterre comme en France, avait exécuté ses monarques depuis longtemps… Sans résultat réel d'ailleurs, puisque une restauration avait suivi. L'essentiel, expliquait Lénine, était de détruire les propriétaires terriens, les koulaks. La mort de Nicolas II ne méritait ni explication, ni mention, ni justification. Lénine y faisait allusion comme une information sur quelque chose qui lui était étranger. Mais c'était si peu important que cela ne méritait pas qu'on s'y attardât. Voilà qui ne l'empêchait pas d'ailleurs, de négocier avec les Allemands le sort de l'impératrice et de ses filles. Mais ces négociations secrètes, condamnées la veille encore, demeuraient soigneusement cachées sous la chappe d'une théorie de l'Histoire qui était censée ignorer les individus et ne connaître que les classes et modes de production… C'est ainsi qu'une telle négociation, pareille exécution purent devenir de non-évènements, disparaître de l'Histoire. »
« A la fin de son livre l’auteur (Marc Ferro) se demande pourquoi, au contraire de ces événements historiques que sont la mort de Charles Ier et de Louis XVI, celle de Nicolas II est un « non-événement », ou rien de plus qu’un fait divers. Le lecteur peut se poser autrement la question. Voilà un ouvrage où est peinte avec une grande force une période capitale de l’histoire du monde. Au centre du récit, un homme victime de sa naissance et de l’héritage, écrasant pour lui, d’un despotisme oriental vieux de mille ans. Or pas moins d’un quart de ce livre est consacré à ce seul « fait divers ». C’est qu’il valait d’être examiné pour la première fois dans l’esprit critique le plus objectif. Marc Ferro a su rassembler les pièces significatives les plus « parlantes » relatives à l’événement. Elles forment la plus éclatante des cacophonies et le plus étonnant tissu de contradictions. On note aussi que les juges appelés à en connaître, comme les autres témoins qui exprimèrent leurs doutes sur la version courante - la mise à mort totale, - furent fusillés, ou moururent subitement d’une opportune maladie. Pour le lecteur qui a tout bien pesé, l’assassinat collectif d’Ekaterinbourg, suivi de la destruction par le feu des treize corps et leur ensevelissement avec vêtements et bijoux, tout cela ne fut qu’une mise en scène. Seul le tsar sera fusillé, un peu plus tard et ailleurs ; très probablement avec son fils, déjà condamné à mort par la maladie. Ce crime-là serait sans excuse. Les cinq femmes auront été sauvées. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne les considérait comme allemandes, par leur mère, et qu’au moment de Brest-Litovsk on ne pouvait que tout faire pour répondre à cette exigence. Tout cela n’empêche pas les plus sérieux des dictionnaires d’avoir enregistré dans tous ses détails, avec les dates, un massacre qui n’a probablement jamais existé. Reste que ce « fait divers », ce « non-événement » éclaire d’un jour violent l’état de la Russie pendant ces quelques mois : elle a éclaté dans la plus totale anarchie. L’autorité effective de Lénine ne doit guère dépasser Moscou. »