De 1959 à 1974 l'URSS évolue lentement vers un état de droit
Résumé
Citations
« Tout le bruit et toute la fureur, en URSS même et surtout en Occident, autour de la dissidence et de l'attitude des autorités soviétiques à son égard ne doit pas nous faire oublier les tendances systémiques à l'oeuvre en URSS […] A un système niant tous les droits a succédé un système avec des lois, des droits et des garanties. Eliminer la notion de "crime contre-révolutionnaire" pour la remplacer par celle de "crime particulièrement dangereux contre l'Etat" peut sembler un ravalement de façade sans la moindre incidence pour ceux qui étaient poursuivis et persécutés. Sur ce point les biographies prennent le pas sur l'histoire. Mais pour l'historien ces changements dénotent le passage à une autre étape. […] quand un système pénal exécutant arbitrairement les condamnés ou les réduisant à l'état d'esclaves est transformé en un système pénal où le travail forcé est aboli, où il existe des procédures juridiques, où les détenus possèdent certains droits et des moyens de combattre l'administration pénitentiaire, où ils peuvent avoir des contacts avec le monde extérieur, voir un avocat, se plaindre légalement des traitements subis, et quand le système reconnaît qu'il a intérêt à introduire quelque légalité en ce domaine, nous sommes alors en présence d'un autre type de régime. Subir une peine de prison pour délit d'opinion entraîne une légitime sentiment d'injustice, et le vécu biographique éclipse l'aspect historique "Que peut me faire, à moi, détenu, le fait que dix ans plus tôt le châtiment eût été pire ?" L'historien, lui, n'a pas le droit d'ignorer ce qui serait arrivé dix ans auparavant à la même personne et à sa famille. »
« La police secrète, qui opérait jusqu'alors sans la moindre contrainte, se déchaînait, arrêtait, torturait, fusillait selon son bon plaisir, est désormais soumise à un mécanisme de contrôle […] : le KGB n'a plus le droit de prononcer lui-même des condamnations et ses enquêtes sont soumises à un processus de contrôle par des divisions spécialement créées dans cet effet dans les procuratures, à tous les niveaux. Incontestablement, là encore, le changement n'est pas négligeable. La Procurature exerce de plein droit son pouvoir au coeur même d'un système dictatorial qui, du temps de Staline, avait également massacré bon nombre de procureurs trop "curieux". A partir de mars 1953 (et jusqu'en 1991), le département de la Procurature chargé de superviser les enquêtes du KGB doit être informé de tout dossier d'enquête ouvert par la police secrète et ouvrir son propre dossier en parallèle. »
« Les lois réprimant les crimes contre l'Etat sont désormais des textes publics connus de tous, et personne ne peut être poursuivi s'il ne les a pas transgressées. L'intention de commettre un acte délictueux ne justifie plus à elle seule une arrestation. Si tel est le cas c'est illégal. La nouvelle rédaction du code pénal et le renforcement des institutions juridiques marquent un grand contraste avec le passé, même si le cadre général reste non démocratique. Cet aspect de la répression politique a fait l'objet d'un débat permanent parmi les dirigeants, les juristes et au KGB. Il permet également de comprendre les protestations, venues de différents milieux, surtout académiques, lorsqu'ils jugent que le régime ne respecte pas sa propre légalité. »