A l'hiver 1922-1923 dans son "testament" Lénine attaque Staline
Résumé
Citations
« Le camarade Staline en devenant secrétaire général a concentré un pouvoir immense entre ses mains et je ne suis pas sûr qu’il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. D’autre part, le camarade Trotsky, ainsi que l’a démontré sa lutte contre le Comité central dans la question du commissariat des Voies et Communications, se distingue non seulement par ses capacités exceptionnelles – personnellement il est incontestablement l’homme le plus capable du Comité central actuel – mais aussi par une trop grande confiance en soi et par une disposition à être trop enclin à ne considérer que le côté purement administratif des choses. Ces caractéristiques des deux chefs les plus marquants du Comité central actuel pourraient, tout à fait involontairement, conduire à une scission ; si notre Parti ne prend pas de mesures pour l’empêcher, une scission pourrait survenir inopinément. »
« Post-scriptum. Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité – c’est-à-dire qu’il soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc. Cette circonstance peut paraître une bagatelle insignifiante, mais je pense que pour prévenir une scission, et du point de vue des rapports entre Staline et Trotsky que j’ai examinés plus haut, ce n’est pas une bagatelle, à moins que ce ne soit une bagatelle pouvant acquérir une signification décisive. »
« On a souvent expliqué cette note par l'irritation qu'avait causée à Lénine l'incident qui mit aux prises le 22 décembre Kroupskaia et Staline, où celui-ci fit preuve d'une grossièreté particulière. Cependant tous les textes écrits à cette époque témoignent que Lénine ne réagit pas émotionnellement, avec une sensibilité de malade, mais est dominé par la prise de conscience de certaines réalités. L'une de celles-ci, qu'il est seul à entrevoir alors, est l'immensité du pouvoir stalinien. Pour les autres dirigeants, le serétaire général du Parti reste un administrateur assumant les tâches de gestion qui les ennuient ; un personnage effacé, qu'ils méprisent ou ignorent, mais qu'ils ne comptent parmi les successeurs possibles de Lénine. Lénine, au contraire durant sa réclusion, a vu se multiplier aussi les signes de cette brutalité. Il réagit à ce problème comme il réagit aux difficultés de l'Etat, en se tournant vers son Parti sans doute, mais au delà, en insistant sur une donnée qu'il avait jusqu'alors négligée, la valeur humaine. »
« Le bref examen d'une seule question, mais névragique, ajoutera encore au bien-fondé de cette conclusion : celle du style de direction de Lénine confronté à celui de Staline tel qu'il affleure déjà en 1922, et qui conduit Lénine à préconiser son remplacement au poste récemment créé de Secrétaire général ou il a "concentré entre ses mains un pouvoir immense" (tome 36 p 607). Jusqu'au bout de son activité, début mars 1923, et alors même que la ligne politique du parti et de l'Etat est la dictature du prolétariat, Lénine n'a cessé de les diriger d'une manière essentiellement démocratique […] il n'exige jamais il ne commande pas d'en haut : il ne cesse d'argumenter pour faire prévaloir une analyse, acceptant toujours, fut-ce en maugréant, d'être mis en minorité, donc d'avoir à argumenter davantage. Lénine, dirigeant, fonctionne exclusivement à la conviction majoritairement acquise. »